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Au loin sonnent lourdement les cloches de l'Eglise, brisant le silence installé dans l'air froid de cette fin d'automne. Les citadins se pressent, la nuit est déjà bien avancée et dans les rues ne restent plus que de rares personnes, fantômes de pénombre qui se glissent dans d'étroites ruelles et disparaissant dans l'ombre de ses dernières. Le ciel se couvre de nuages et les étoiles, poussières de Lune, disparaissent voilée par les moutons gorgés d'eau. Au travers des vitres, les enfants de l'orphelinat guettent les premières gouttes d'eau qui viendront s'écraser sur les carreaux où les plus jeunes collent leur nez, rêveurs. Quand la guerre cessera-t-elle ? Aujourd'hui encore, deux d'entre eux sont morts de la folie des hommes aidés par la malice de la Nature. Balles perdues, maladies, famines. Une partie de leur maison s'est envolée, pulvérisée par un obus et les voilà, tous les jours un peu plus nombreux à s'entasser dans les pièces froides de la vieille bâtisse, n'ayant pour se réchauffer que leurs amitiés et leurs frictions solidaires. Une jeune frimousse passa à travers l'entrebâillement de la porte de la pièce et tous les regards se tournèrent vers lui. La vieille Minerve venait de mourir... Quelques mines se firent plus grises qu'elles ne l'étaient déjà, quelques larmes furent versées en vitesse. Il y avait tant de morts à pleurer ! Quelques proches se levèrent et suivirent l'enfant à son chevet et lui adressèrent quelques prières pour la guider dans son chemin vers l'au-delà puis recouvrirent son visage d'un drap qui à présent, sera son linceul...

Que Sarajevo était laide en ses temps de détresse ! Des orphelins toujours plus nombreux, des parents éplorés à chaque coin de rue, des cadavres sous chaque gravats ! Quel siège long et infamant ! Que de brutes stupides ! Sans familles, sans maisons, les plus démunis finirent par prendre possession du vieil orphelinat et s'y installèrent aux côtés des enfants qui y séjournaient déjà. La plupart étaient jeunes, les plus vieux ne pouvant se résoudre à quitter leurs demeures dans lesquelles ils avaient grandis, même réduites en poussière par les obus. Le siège de la ville durait depuis trop longtemps, et plus rien ne filtrait. Plus de médicaments, plus de nourriture. Alors, au coin d'un triste feu, les habitants orphelins se racontaient de vieilles légendes, ranimèrent de vieux souvenirs et ouvrirent de bien poussiéreux livres de contes étranges... Voilà qu'on s'exclamait avoir vu Baba-Yaga et son chat dans les rues morbides de Sarajevo, qu'on croyait avoir vu la princesse morte et ses sept chevaliers ! A croire que le manque de soins rendait folle la population... Mais si c'était vrai ? Et si les âmes des contes, depuis longtemps oubliés revenaient à présent, hanter les vivants ? Les contes sont porteurs d'espoir, dis-t-on... Mais les disparus sont de plus en plus nombreux. Et certains corps sont retrouvés, crispés et le visage horrifié, comme si on les avait tués grâce à un mauvais sort...

Mais qui est à l'origine de tout cela ? Tous les regards alors se dirigent alors vers l'orphelinat, qui, il y a bien longtemps, était maison de dames noires. De sorcières. Les bombardements auraient ils, faisant trembler ses briques et crier ses fondations, réveillés les légendes emprisonnés dans la poussière des années, enfouies au fin-fond des murs, enfermées entre les pages des livres ? Sont-ils là pour se venger d'avoir été oublié ou pour vous aider à survivre ?

Sarajevo, 1993. Deux ennemis : les hommes de dehors, les ennemis du dedans et les esprits qui reviennent vous hanter.